A bord d’un porte-conteneurs de Fos-sur-mer à la Réunion.


A bord d'un porte-conteneurs de Fos-sur-mer à la Réunion.

Martine Boutary, professeure en management international à Toulouse Business School, s’est plongée au cœur du transport maritime de marchandises en s’embarquant sur un porte-conteneurs de Fos-sur-Mer à La Réunion, en passant par le canal de Suez. Retour d’expérience.

Quels étaient l’itinéraire et le contexte de votre voyage ?

J’ai embarqué en juillet 2019 sur un porte-conteneur pour un mois de voyage entre Fos-sur-Mer et La Réunion. Deux autres passagères étaient également à bord. Long de 350 mètres, transportant 7 000 conteneurs, dont 400 réfrigérés, de Rotterdam à Melbourne, en un peu plus de deux mois, ce cargo de ligne était sous pavillon portugais et appartenait à un armateur allemand. Son équipage était dirigé par un capitaine polonais et comptait une trentaine de personnes, des officiers d’Europe de l’Est, et des marins philippins, dont deux jeunes femmes. Nous avons longé l’Italie, puis la côte libyenne, l’Égypte, passé le canal de Suez, et nous sommes descendus le long de la mer Rouge jusqu’au golfe d’Aden, avant de prendre plein sud vers La Réunion. Il n’y a eu que deux escales sur ce trajet, à Gênes et à Damiette, à l’entrée du canal de Suez. Mais le capitaine a jugé qu’il serait trop risqué pour le timing de son cargo de laisser descendre ses trois passagères, à Damiette notamment. De Fos-sur-Mer à La Réunion, je n’ai donc pas quitté le bateau.

Comment se déroulait la vie à bord ?

La première chose que j’ai constatée, c’est que l’on travaille beaucoup sur un porte-conteneur et de façon quasi ininterrompue. C’est le cas en particulier dans le poste de pilotage, situé sur le pont le plus élevé, et occupé jour et nuit, suivant un rythme de six quarts, par trois personnes – le capitaine ou son second et deux autres officiers – qui font preuve d’une vigilance et d’une concentration extrêmes. La nuit, au-dessus de la mer, le poste de pilotage est plongé dans le noir, seulement éclairé par les écrans de navigation, ce qui est très impressionnant.

Mais le travail, c’est aussi l’entretien de cet énorme cargo et des conteneurs qu’il transporte :  des peintres qui travaillent en permanence contre la corrosion, des soudeurs, des ingénieurs. Des opérations de rinçage sont menées en permanence. Sur un cargo, 11 tonnes d’eau dessalée sont ainsi utilisées par jour. La surveillance des conteneurs est également très importante. L’arrimage, en particulier, est capital pour l’équilibre du bateau. A chaque coup de vent, tout est vérifié. La température des 400 conteneurs réfrigérés, qui doivent rester à 4°C pour certains et à 12°C pour d’autres, est aussi contrôlée par un marin trois fois par jour, au-delà des relevés automatisés.

Lors des escales, les marins, habillés de rouge pour être repérables, travaillent avec les dockers pour décharger et charger. Les équipements des ports varient en fonction de leur modernité et de leur importance. Cette valse des conteneurs est menée de manière énergique car le port facture au temps passé dès que le bateau touche le quai. Le capitaine du bateau n’a donc qu’une idée en tête : décharger, recharger et repartir.

Un travail plutôt intense, donc…

Oui. Et les questions de sécurité sont présentes en permanence. Rien n’est laissé au hasard. Chaque jour, les marins signent les consignes visibles par tous et rappelées par le Capitaine. Des exercices de simulation sont régulièrement organisés, par exemple pour le cas où un marin -ou des conteneurs- tomberait à l’eau. La chaleur atteint 35 à 40 degrés pour ceux qui travaillent dans les salles des machines. Il y a aussi des urgences, et dans ces cas-là, les heures ne sont pas comptées. Par exemple, lorsque nous naviguions sur la mer Rouge et alors que la température était de 50 degrés dans l’air et de 40 degrés dans l’eau, le système de climatisation et de refroidissement est tombé en panne. Durant 20 heures, les marins ont travaillé sans s’arrêter, et en gardant le sourire, jusqu’à que la panne soit entièrement réparée. 

A ne pas oublier : un membre d’équipage important, le chef cuisinier ! Dans ces conditions de travail difficiles, la cuisine occupe une place très importante par son rôle nourricier mais aussi comme source de réconfort…voire de team building !

Comment s’est déroulé le passage du canal de Suez ?

Il existe des lieux mythiques pour les marins et le canal de Suez, comme le canal de Panama pour d’autres destinations, en fait partie. Le cargo a déchargé et chargé des conteneurs au port de Damiette, en Egypte, puis est reparti immédiatement dans l’après-midi, pour aller se placer à l’entrée du canal de Suez, en position d’attente, jusqu’à ce que les pilotes du canal donnent au capitaine un ordre de départ. L’attente a duré jusqu’à 5h du matin. Nous avons ensuite passé la journée à traverser le canal d’environ 100 mètres de large, avec des pilotes égyptiens montés à bord :  avec à l’Est le désert du Sinaï, une zone très surveillée et très militarisée et à l’Ouest des terres égyptiennes plus vertes et plus habitées. Le passage s’effectue réellement sous un contrôle strict : les enjeux de sécurité du Canal de Suez sont économiquement très forts ; le passage doit se passer sans problème.

Quelles sont les principales contraintes pesant sur le capitaine ?

Elles sont nombreuses ! L’armateur confie la responsabilité du voyage, des marins et des conteneurs au Capitaine. Mais cette responsabilité est sous la contrainte économique de l’ univers concurrentiel féroce qui caractérise le transport maritime.  J’ai ainsi pu constater que pour un cargo, il s’agit d’aller au plus court, pour des motifs de temps et d’argent. Cela a été le cas, une première fois, lorsque nous sommes passés par le détroit de Messine, entre la botte italienne et la Sicile, plutôt que de contourner l’île ce qui aurait évité de passer au plus près des villages de vacances, des plages et des baigneurs, le détroit ne faisant que trois kilomètres de large. 

La deuxième fois, c’était à la sortie de la mer Rouge, avant d’arriver au large de Djibouti. Le capitaine est venu nous voir pour nous informer que des gardes allaient monter à bord pour protéger le cargo contre d’éventuels pirates. Quand nous sommes arrivés dans le golfe d’Aden, des gardes armés  sont effectivement montés. En fait, pour aller plus vite, l’armateur du cargo avait imposé au capitaine de passer très près de la Somalie et des îles yéménites – des zones infestées de pirates – plutôt que beaucoup plus au large, comme c’est l’habitude. J’ai constaté que le capitaine, pourtant très expérimenté et sûr de lui, était inquiet à l’idée d’emprunter cette route, qu’il jugeait trop dangereuse pour sa cargaison et pour ses hommes. Il était en colère mais visiblement, il n’avait pas le choix : cet itinéraire a permis de gagner un jour, avec les économies de temps et de fuel afférentes.

Les gardes montés à bord ont organisé des exercices de simulation d’attaque (au cas où le cargo serait abordé par des pirates)…assez impressionnants ! A ce moment, les marins philippins se réfugient dans la prière, les passagères pensent au danger que représentait la valeur de leur passeport occidental ! Toutes les portes et toutes les fenêtres ont été obturées pour que le cargo ne soit pas visible la nuit. Durant cette période délicate, nous avons également vécu une tempête, mais c’était plutôt une bonne nouvelle et une source de détente parce que les pirates ont beaucoup plus de difficultés à aborder les bateaux dans des conditions de mer difficiles.

Vous repartiriez ? 

Un oui sans détour ! Cette expérience a été forte sur le plan humain et personnel, bien sûr, mais aujourd’hui je la partage aussi avec des étudiants ou des collègues, chercheurs et autres, et cela soulève beaucoup de questions et de débats intéressants !

 

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