Aller à l’international progressivement, avec des partenaires locaux


A contre-courant de la mode des « born global », Foued Cheriet, enseignant-chercheur à Montpellier SupAgro, rappelle les forces du modèle d’Uppsala d’internationalisation par étapes, et l’intérêt de s’allier avec des acteurs locaux.

Quel est l’intérêt du modèle d’Uppsala ?

L’internationalisation pose quatre grandes questions : pourquoi, comment, où et quand ? Parmi les différentes approches pour traiter ces questions, le modèle d’Uppsala est particulièrement intéressant. Défendant l’idée d’un développement international incrémental, séquentiel et par étapes, il a lui-même été construit de manière séquentielle. La première version du modèle (1975), un peu caricaturale, supposait qu’une entreprise passe par quatre phases : elle exporte d’abord, puis fait appel à un intermédiaire local, crée ensuite une représentation à l’étranger, et enfin une filiale. Un processus qui permet progressivement de réduire les risques et d’augmenter l’engagement. Mais ce modèle initial a été critiqué car il fondait l’internationalisation sur la minimisation d’une distance psychique, liée à la différence entre les pays en termes de langue, de culture, d’institutions, de lois, de pratiques commerciales…

Comment ce modèle a-t-il évolué ?

La deuxième version (1977) voit l’internationalisation comme une boucle : un premier niveau d’engagement limité dans des pays proches permet d’acquérir la connaissance des marchés étrangers, sur laquelle peut se fonder la décision de s’engager vraiment à l’international, la mesure des résultats de cet engagement générant à son tour de nouvelles connaissances, utilisables pour poursuivre le développement.
La troisième version (1990) considère l’internationalisation comme un phénomène d’innovation et un prolongement naturel de l’activité de l’entreprise. Celle-ci développe ensuite des objectifs de pénétration du marché, puis finit par devenir quasiment une entreprise « locale ». Elle intègre progressivement ses différentes implantations pour grandir. Beaucoup d’exemples valident empiriquement ce modèle.
Enfin, la quatrième version (2009) développe une approche par le réseau, la réussite de l’internationalisation étant conditionnée par la manière dont l’entreprise se positionne dans un réseau. Les auteurs introduisent la notion de non appartenance à un réseau (outsidership) comme un véritable handicap dans la démarche d’internationalisation.

Quels sont les avantages de ce modèle de développement séquentiel ?

On apprend de chaque implantation et on intègre ces connaissances pour développer ensuite une nouvelle implantation. C’est par exemple la stratégie utilisée par Carrefour en Asie dans les années 1990 ou par Danone en Algérie dans les années 2000. Elle permet un apprentissage institutionnel, culturel, puis une délégation et une autonomie de la filiale, et enfin une programmation de l’internationalisation, des adaptations des modes d’implantation selon les pays. Cela conduit à une optimisation de la gestion du portefeuille de marques et de filiales…

Pourquoi s’appuyer des partenaires locaux pour se développer à l’international ?

Il s’agit d’abord d’apprendre plus vite grâce au partenaire : sur les pratiques locales, le marketing, le climat des affaires, les institutions, les réseaux. Il s’agit également de diminuer les risques liés au fait d’être une entreprise « étrangère ». Cela permet aussi de mieux connaître un partenaire qui peut devenir une cible stratégique potentielle, de préempter un leader avec ses réseaux et ses ressources locales ; ou aussi parfois de répondre à des exigences réglementaires.
Mais cette stratégie n’a pas que des avantages : elle peut poser des problèmes de contrôle, et générer des conflits quand les intérêts ne sont pas (ou plus) alignés. Pour l’exportateur elle implique également une gestion complexe des différentes marques et des multiples partenaires.

Quels sont les principaux enseignements de ces recherches ?

La lenteur de l’internationalisation doit être vue comme un atout : c’est un moyen de digérer ce que l’on apprend, afin d’aller à l’international de manière plus sûre. Pour les PME, l’export doit être considéré comme une innovation, qui implique un contrôle des risques et une séquentialité dans le développement. Les « born global » parlent d’« internationalisation dès la conception », veulent « aller partout, tout de suite », mais ce modèle ne s’applique pas à la très grande majorité des PME.
Il faut aussi considérer les alliances avec des partenaires locaux comme des étapes de pré-implantation, qui aident à apprendre sur le marché, à contrôler des réseaux, à mieux connaître une cible potentielle. L’enjeu majeur est d’apprendre à chaque étape puis d’exploiter et de diffuser ces connaissances au sein de l’entreprise pour les utiliser ensuite dans une prochaine étape et/ou sur un nouveau marché.

La Fabrique de l’Exportation

A contre-courant de la mode des “born global”, Foued Cheriet rappelle les forces du modèle incrémental (Uppsala) et fait un focus sur l’internationalisation par des partenariats avec des acteurs locaux.
Il explore en particulier le cas des partenariats cross-border entre petites et grandes entreprises.

Retrouvez la vidéo-présentation de son intervention :

La Fabrique de l’Exportation