COVID RESPONSE : Comment adopter les modes d’entrée immatériels (franchises, licences de production, etc.) ?


 

Analyse

Développer son activité à l’international via les approches immatérielles permet souvent une exploitation plus rentable de ses activités internationales, et c’est souvent la perception de leur complexité ou du risque qui leur est associé qui font que les exportateurs les utilisent peu. Or elles semblent être particulièrement adaptées au contexte actuel et devraient l’être également post-crise Covid et méritent donc d’être explorées.

Ainsi la révision de ses produits, process et marchés du fait de la crise offre à chaque entreprise l’occasion d’explorer la dématérialisation de ses modes d’entrée sur les marchés comme une nouvelle avenue de croissance et de pérennisation de son business à l’international.

Concrètement les modes d’entrée immatériels s’observent dans plusieurs domaines et dans une variété de cas, et peut consister par exemple en :

  • la fabrication sous licence d’un produit ou d’un service ;

  • la location d’un moule pour permettre la production d’une pièce ;

  • la mise à disposition d’une marque commerciale pour distribuer un produit ou service ;

  • la distribution d’un produit ou service dans le cadre d’une franchise ;

  • la mise à disposition d’un savoir-faire technique ou d’une technologie pour un process ;

  • la vente de fichiers de pièces détachées en vue de leur impression 3D ;

  • la distribution par les plateformes digitales ;

  • etc.

Ainsi le recours à des accords de licence liés à des process, des marques, des designs, le développement d’un réseau de franchisés, les transferts technologiques, les accords de co-production ou alors la conclusion d’alliances stratégiques sans capital sont autant d’approches immatérielles des marchés vers lesquelles l’entreprise peut migrer, pour peu que certaines conditions soient réunies comme par exemple l’existence de brevets, de marques, d’un savoir-faire spécifique ou d’avantages concurrentiels.

Ces modes d’entrée immatériels nécessitent très souvent la prise en compte d’au moins deux grandes dimensions : le juridique pour protéger les intérêts des parties dans le temps, et le digital pour optimiser la création de valeur. 

Même s’il peut paraître moins évident pour un fabricant de composants industriels de dématérialiser son métier dans la conduite de ses affaires à l’étranger que pour une entreprise de services, les modes d’entrée intangibles sont applicables à quasiment toute activité ou offre. Il y a toujours une autre manière de faire les choses, et les transformations liées à la crise Covid peuvent la rendre possible ou nécessaire.  

 

En quoi ces modes d’entrée peuvent être plus profitables pour l’entreprise ?

a) Une efficacité accrue

Si chacun des deux partenaires fait ce pour quoi il est le meilleur, ce type de partenariat assure la meilleure efficacité économique pour entrer sur un marché.

Des gains en termes d’efficacité sont ainsi observables à plusieurs niveaux, par exemple dans le cadre d’un partenariat industriel : 

  • L’utilisation d’une technologie acquise via une licence évite à l’entreprise d’investir en R&D, et lui apporte le savoir-faire pour implanter diligemment les différents process de production ; 

  • En outre l’exploitation d’une technologie par un accord de partenariat avec un tiers permet également une meilleure efficacité de la distribution en mobilisant des partenaires plus efficaces en distribution.

En effet, pour le concédant (donneur de licence), octroyer une licence à une entreprise homologue à l’étranger lui permet notamment de :

– éliminer les coûts, risques et délais associés à l’expédition des biens ;

– s’assurer d’une meilleure proximité/réactivité auprès de la clientèle finale ; 

– disposer d’une meilleure connaissance du marché, la production étant placée plus près des consommateurs/clients ;

– simplifier le processus de production et de vente, puisque que le licencié fait la production et la vente finale, alors que le concédant n’a qu’à facturer, conformément aux dispositions de sa licence, pour chaque unité vendue ou selon le niveau de performance prédéterminé ; 

– d’accéder, pour la distribution de ses produits, à des forces de vente plus puissantes, un partenariat avec un partenaire industriel étranger permettant souvent de mobiliser des forces de vente supérieures à celle d’un simple distributeur ;

– d’allonger la pérennité du courant d’affaires, ce type de contrat étant passé en général pour des durées longues (3 à 5 ans) contrairement aux achats de produits qui sont plus volatils.

Dématérialiser signifie aussi consigner davantage les informations (ex. : instructions), les standardiser, ce qui contribue à réduire, voire éliminer l’erreur humaine à plusieurs égards.

b) Des investissements moindres

Les investissements nécessités par ce type de partenariat ne représentent parfois qu’une fraction des sommes requises dans un mode d’entrée plus traditionnel, notamment par rapport aux cas d’investissements directs commerciaux ou industriels, si bien que le rapport risque-rendement s’améliore de façon appréciable. 

c) La réduction de certains risques

Le passage à un mode d’internationalisation intangible permet de réduire certains risques pour l’entreprise : les risques liés à l’expédition de marchandises (retard de livraison, vols, destruction accidentelle, etc.) s’estompent, les risques de barrière à l’entrée aussi. De plus, la réduction significative des besoins de déplacement des collaborateurs à l’étranger vient non seulement soulager la trésorerie mais élimine tout un ensemble de risques (risque sanitaire, sécurité personnelle, etc.). 

d) L’ouverture de développements stratégiques possibles

La nature des actifs clés de l’entreprise se modifie, évoluant d’un savoir-faire produit à un savoir-faire de process, marque, marketing, etc.

Par ailleurs, ce type de partenariat débouche parfois sur des accords de licence croisés, voire des alliances inter-entreprises, qui permettent aux partenaires d’accroître leurs synergies et de fonctionner dans les deux sens, chacun devenant concédant/licencié de l’autre, ce qui permet d’équilibrer la relation et d’en assurer une meilleure stabilité.

e) Une meilleure rentabilité

L’adoption de modes immatériels, voire contractuels, exigent moins de ressources financières qu’un investissement étranger direct et permettent parfois de vendre beaucoup plus qu’un accord avec un agent ou un distributeur. Les coûts d’entrée sont comparables à ceux des modes d’entrée dits légers (agents, distributeur), et les coûts de sortie sont moins élevés que les modes d’entrée lourds (création de filiale, etc) ; en outre ces partenariats sont plus résilients et débouchent sur des volumes plus forts, de sorte que l’effort peut amorti sur une base de temps et un volume de ventes plus élevé. Ainsi, s’ils engendrent des chiffres d’affaires plus limités, les modes d’entrée immatériels sont souvent plus rentables que les modes d’entrée matériels.

f) Une plus forte valeur RSE

Les modi operandi liés à des modes d’internationalisation immatériels ouvrent sur des circuits plus courts, impliquent moins d’intermédiaires, créent plus de valeur locale, permettent parfois, à la faveur du digital, un contact direct avec les clients ou interlocuteurs finaux. Aussi, les approches immatérielles s’inscrivent davantage dans le respect des enjeux environnementaux en ce que l’expédition de marchandises s’opère dans un rayon plus court, donc en phase avec la décarbonation mais aussi plus économique. 

 

En quoi ce type de transaction est plus risquée et plus complexe pour une entreprise :

De nouveaux risques peuvent apparaître dans la mise en oeuvre de ce type de transaction. 

Le premier d’entre eux est l’asymétrie des positions du concédant et du licencié : le concédant n’étant pas en contact direct avec les clients, le licencié, une fois la technologie maîtrisée, pourrait tenter de tricher sur le calcul de la rémunération due, de renégocier (à la baisse) les termes de l’accord, de décider de lancer une activité concurrente à l’échéance de l’entente, voire de chercher à s’affranchir de son contrat. 

La distance entre les partenaires, conjuguée au fait qu’il s’agisse de deux structures indépendantes, pose les défis suivants :

  • Risque de déloyauté : dans le cas d’un accord de licence, par exemple, il peut être difficile pour le propriétaire d’une licence de contrôler le nombre d’unités produites par le licencié qui peut user de techniques pour dissimuler le volume de production.

  • Risque de quasi-concurrence : qu’il s’agisse d’un allié stratégique, d’un licencié ou un franchisé, il y a toujours un risque que le partenaire étranger devienne un concurrent.

  • Usage des biens produits non conformes aux termes de l’entente : il existe la possibilité que le produit ou la marque (ex. : franchise) soient mal utilisés ou présentés aux clients, ce qui pourrait porter préjudice à l’entreprise. 

  • Le risque de copie, de fraude ou de détournement est également présent dans le cas des modes d’internationalisation immatériels. 

Par conséquent, l’entreprise doit être vigilante face aux risques qui peuvent faire irruption dans ce contexte, notamment le risque lié au vol de propriété intellectuelle, à la protection des données, aux incompréhensions ou conflits résultant des écarts culturels (du fait de l’éloignement), aux différences liés aux systèmes juridiques (vue l’importance accrue du volet contractuel), etc.

Ceci montre l’importance que revêt la dimension juridique pour mettre en place ces modes d’internationalisation. Ceci requiert l’implication de compétences à la fois de juristes praticiens de ce type d’accord à l’international, de conseils experts dans l’ingénierie de telles relations d’affaires ainsi que des experts en marketing et digitalisation rompus à ces types de modes d’internationalisation. 

 

Recommandations

  • Travailler en mode projet avec vos partenaires pour construire votre relation : Faire sans tarder un POC (Proof of Concept) pour mettre en évidence les rôles respectifs et les risques et espérances de la coopération :  privilégier le test et l’itération à chaque fois que c’est possible, plutôt que la construction abstraite. Le POC doit être temporaire voire ponctuel, son scope peut être limité, son exécution rustique car il s’agit de tester les bases de la coopération sans pour autant implémenter tout le partenariat pour créer une logique qui sera win-win dans la durée. L’ingénierie du deal doit faire en sorte que chacune des deux parties ait constamment besoin de l’autre.

  • Se mettre d’accord dès le début sur le fait que les manquements au contrat, même mineurs, seront très fortement pénalisés, y compris par des pénalités financières, pour éviter tout comportements opportunistes des parties.

  • Explorer la possibilité d’établir un partenariat croisé qui permet aussi de s’assurer d’un comportement loyal du partenaire.

  • Concevoir des approches de contrôle/monitoring des termes du deal, notamment dans le cas de rémunérations variables fondées par exemple sur le volume produit, qui ne reposent pas sur le bonne foi de l’autre partie, mais sur un tiers ou un système de détection autre.

  • Des dispositifs d’activation/désactivation du produit/machine à distance. 

  • Activer des dispositifs technologiques qui permettent de tracker l’utilisation d’une machine ou d’une technologie nécessaire à la fabrication ou à la commercialisation du produit mettre en place des pratiques de surveillance du partenaire par des tiers (comptage des camions en sortie d’usine, suivi des recrutements, etc.).

  • Impliquer des experts pour construire votre partenariat immatériel : experts en transfert de technologie et licence, en franchise (ingénierie du deal, modes de contrôle), en protection de la propriété intellectuelle, en gestion de marques, en droit international spécialistes de ce type d’opération (conseils juridiques et fiscaux), en digital, en fiscalité (traitement des royalties et redevances).

 

Pour Approfondir 

Gordon Drakes & David Bond, Covid-19 – how franchise and distribution networks can respond, Fieldfisher, 19 March, 2020
https://www.fieldfisher.com/en/services/franchising/franchise-commercial-law-blog/facts-blog-covid-19-update-and-spring-round-up.
How franchisors and franchisees can work together to combat the impact of Covid-19
https://www.lewissilkin.com/en/insights/how-franchisors-and-franchisees-can-work-together-to-combat-the-impact-of-covid-19 
International Licensing Agent Representation in a COVID-19 World 
https://www.totallicensing.com/international-licensing-agent-representation-in-a-covid-19-world/

Consultez le thesaurus général “COVID & BUSINESS INTERNATIONAL”
https://docs.google.com/document/d/14zEjylF1-vBYBVi8al56h3jHvDIcNsQozZwmOPGMeMo/edit

 

Pour enrichir cet article

Si vous voulez enrichir cet article n’hésitez à nous écrire avec vos suggestions d’amélioration: jpdavid@mercadexeurope.com

 

Crédits et remerciements 

Ce texte est une production du groupe de travail « Réfléchir aux nouvelles approches de l’export » animé par La Fabrique de l’Exportation dans le cadre du Groupe « Solutions pour l’Exportation » auquel ont participé l’Adepta, BPI France, Business France, les CCE, CCI France, CCI France International, ICC France, La Fabrique de l’Exportation, MEDEF, MEDEF International, l’OSCI et Stratexio dès le début de la crise du Covid-19. Les droits d’édition et de reproduction de ce texte sont réservés à ces organisations.

Ces textes ont été rédigés grâce aux contributions de Renaud Bentégeat, Chloé Berndt, Emmanuelle Butaud-Stubbs, Omar Boulenouar, Stéphane Boulet, Cécile Boury, Charafa Chebani, Jean-Paul David, Bogdan Gadenne-Feertchak, Philippe Gautier, Jean-Christophe Gessler, Michelle Grosset, Sophie Guichard, Christophe Hery, Stéphanie Le Dévéhat-Picqué, Fabrice Le Saché, Boris Lechevalier, Arnaud Leurent, Rémy Maréchal, Charles Maridor, Frederic Rossi, Gaël Sabbagh, David Séjourne, Etienne Vauchez.

 

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