« La préférence des PME pour les filiales repose sur de fausses croyances »



L’ouverture de filiales à l’international par les PME, le plus souvent fondée sur des préjugés erronés, se solde par un taux d’échec très élevé. Les explications de Claude Obadia, professeur à l’ESCE et doté d’une solide expérience de terrain à l’international.

Quel est l’objet de votre recherche sur les filiales à l’étranger ?

Notre recherche est partie d’un constat : la plupart des managers de PME et de start-up, quand ils vont à l’international, affichent une nette préférence pour l’ouverture de filiales à l’étranger plutôt que pour le passage par des intermédiaires – distributeurs, importateurs ou agents. Une stratégie qui débouche le plus souvent sur un échec, avec des conséquences parfois dramatiques pour l’entreprise. Diverses recherches montrent en effet qu’entre une filiale sur trois et une filiale sur deux doit fermer. Une excellente étude indique également que si le taux de satisfaction des multinationales vis-à-vis de leurs filiales à l’étranger est de l’ordre de 85 %, celui des PME plafonne à 35 %. Pour tenter de mieux comprendre ce phénomène, nous avons réalisé une étude qualitative auprès de plus de 40 entreprises, PME et start-up de divers secteurs et implantées dans différents pays.

Quelles sont les raisons invoquées pour justifier cette préférence pour les filiales ?

Premier argument avancé par les dirigeants : il n’y a pas de raison de donner des marges à des intermédiaires, il vaut mieux les garder pour augmenter les profits de l’entreprise. Deuxième raison invoquée : seule la propriété permet de contrôler le processus d’internationalisation et ce qui se passe sur le marché, le corollaire étant qu’avec un intermédiaire, « on ne contrôle rien ». En assumant le choix d’une solution intégrée, les managers semblent aussi considérer qu’ils feront mieux sur le marché visé qu’un intermédiaire local, qui connaît pourtant parfaitement ce marché.

Ces raisons sont-elles fondées ?

Non, ces critères pour retenir la filiale en tant que mode d’entrée sont en réalité des biais qui n’ont pas de fondement solide. D’abord, la marge des intermédiaires ne va pas grossir les profits de la maison mère mais va être donnée à la filiale de commercialisation pour assurer son fonctionnement ; il ne faut pas confondre marge brute et profit.
Concernant le contrôle, la question est également plus complexe. Dans l’esprit de très nombreux dirigeants de PME, la propriété vaut contrôle : ils pensent que s’ils détiennent le capital, ils contrôlent automatiquement et sans réserve les informations et les décisions de la filiale. Mais ce n’est pas si simple. La preuve : les multinationales, qui sont en fait des organismes de contrôle de leurs filiales, emploient de nombreuses personnes chargées de s’assurer que leurs droits de propriété sont respectés, qu’elles sont informées de tout ce qui se passe dans leurs filiales et qu’elles ont la capacité d’influencer les décisions de celles-ci.
De plus, le coût de ce contrôle complet des filiales à l’étranger est très élevé. Il correspond au coût de fonctionnement des sièges et des centres régionaux des multinationales, et doit être intégré au bilan financier de la filiale.

Mais comment peut-on contrôler un intermédiaire ?

L’idée qu’avec un intermédiaire on ne contrôle rien est également erronée. Il existe depuis une vingtaine d’années une discipline du management international qui se consacre justement au contrôle des distributeurs ou des agents, et qui a développé des outils permettant d’influencer les décisions prises par ces intermédiaires. Pour l’entreprise exportatrice, un distributeur ou un agent n’est pas seulement un client, il peut être aussi un représentant. Une relation de long terme peut ainsi s’établir, avec des mécanismes de coopération, d’engagement et de confiance, qui permettent d’exercer une influence et un contrôle. Mais beaucoup de PME ont une approche trop transactionnelle de l’export et n’imaginent pas créer ce type de relation de long terme.

Dans ce contexte, que peut-on recommander aux PME ?

Il ne s’agit pas de dénigrer ou d’exclure a priori les filiales, qui peuvent être des outils puissants dans certains contextes. Le principal conseil à destination des PME, c’est d’adopter un système de décision qui leur permette de choisir le meilleur mode d’entrée à l’international en fonction des mécanismes de contrôle et de management qu’elles sont capables de mettre en place, du marché qu’elles visent et du volume d’affaires envisagé.

Découvrez les conseils pratiques de Claude Obadia dans “Importateur + Bureau de représentation : Un mode export efficient pour contrôler un marché”.

La Fabrique de l’Exportation