Rendre nos PME et ETI plus efficaces à l’international


INTRODUCTION 

Année après année, depuis 15 ans, le commerce international a une contribution négative à la croissance française. En 2016 par exemple la croissance de l’économie française aurait pu atteindre 2% (au lieu de 1,1%) sans l’impact du solde négatif des échanges extérieurs.
Pendant la même période tous les pays de la zone euro ont profité d’excédents commerciaux et/ou d’une amélioration de leur solde du commerce extérieur, ce qui a boosté leur croissance (Allemagne, Italie, Pays-Bas, Belgique, etc.) : le développement des pays émergents a en effet généré une demande croissante en direction des pays qui avaient du savoir-faire, l’Europe en tête. Pourtant la France n’arrive pas à bénéficier de cette demande.La faiblesse des exportations françaises a souvent été expliquée par des facteurs de compétitivité : l’euro fort, le coût du travail [2], le positionnement moyenne gamme des produits handicaperaient les exportateurs. La réaction des pouvoirs publics a été de plaider pour un euro plus faible, baisser le coût du travail (CICE), investir dans l’innovation (CIR) ; et pourtant l’année 2016 aura été une très mauvaise année pour les exportations françaises, et malgré un euro « faible », le CICE et des années de CIR : les exportations françaises de produits ont en effet baissé de 0.6% (à 429,2 milliards d’euros [3]) et les exportations de services de 2,1% (à 213,1 milliards d’euros). Il faut donc trouver ailleurs les causes de notre échec à l’export.

Le Professeur Katsikeas [4] a étudié les facteurs de succès à l’international des entreprises, et ce dans de nombreux pays : ses études montrent que c’est la qualité de la gestion de l’international par l’entreprise (la compétence des équipes qui y sont affectées, leur capacité à implémenter une stratégie internationale) qui est le facteur primordial de succès à l’exportation dans une entreprise ; et non pas, contrairement aux idées reçues, les facteurs liés à la compétitivité tels que la qualité du produit, son prix, ou la taille de l’entreprise. Plus précisément les facteurs liés à la compétitivité seraient des variables « commandées » par la compétence et la qualité de la stratégie export : ils n’ont un effet positif sur le succès de l’entreprise à l’international que dans le cas où la compétence de l’entreprise est suffisante. Sinon ils ne servent à rien.
Ainsi il apparaît essentiel d’améliorer le facteur compétence de notre exportation, et permettre une meilleure préparation des entreprises qui veulent aller à l’international. Sans ce travail de fond sur la compétence, les éventuels gains de compétitivité ne parviendront pas à s’exprimer en termes de résultats à l’international.

Cette montée en gamme des compétences export des entreprises françaises a un coût, et l’internationalisation d’une entreprise est un investissement ; c’est un investissement dans la durée, mais c’est globalement un investissement rentable, qu’il faut surtout mieux financer.
En outre il faut mieux exploiter le principal facteur de compétitivité non-prix, notamment en direction des pays émergents : l’offre de crédit-fournisseur qui peut être associée à toute offre ; il est très important que  cette  pratique  commerciale  se  diffuse  au  sein  des  entreprises françaises, et pour cela d’une part mettre en place une meilleure offre de financement pour aider les exportateurs français à proposer des financements à leurs clients étrangers, et d’autre part favoriser une meilleure appropriation de ces offres auprès d’un public, celui de nos PME et ETI, qui en est peu familier.

Ainsi notre proposition d’action consiste à redresser les ventes export des PME et ETI par trois moyens :

  1. Une meilleure préparation des entreprises qui vont à l’international
  2. Un meilleur financement de leurs démarches d’internationalisation
  3. Une meilleure offre de financement des ventes à l’étranger

1. Une meilleure préparation des PME et ETI

Les enjeux :

La préparation des exportateurs consiste à les aider à bien choisir leurs pays cibles, à préparer une offre qui sera compétitive une fois proposée sur les marchés visés, à organiser la société pour réussir le suivi des actions de prospection entreprises, mettre en place le financement de l’ensemble. Et à trouver et mettre en place les compétences dont elle aura besoin, car une PME dispose rarement de l’ensemble des ressources professionnelles nécessaires en interne pour parfaitement connaître les marchés visés.

C’est une étape sans laquelle la projection de l’entreprise à l’étranger est vaine voire contreproductive ; elle est devenue d’autant plus nécessaire que (i) les pays émergents (Chine, Inde, Asie du Sud-Est, Afrique, Amérique latine, etc.) requièrent une  forte capacité d’apprentissage, d’adaptation et de discernement de la part de l’exportateur; d’autre part parce que les pays les plus développés (UK, US, Allemagne, Scandinavie, etc.) sont entrés dans une modernité qui oblige les exportateurs français à s’adapter.

Pourquoi nous échouons ?

Or tout notre dispositif d’appui aux exportateurs est construit pour la projection des exportateurs, et non sur leur préparation. Le message porté par l’écosystème de l’accompagnement à l’export est que “l’export c’est facile” et qu’il suffit de se projeter à l’étranger pour y réussir. Nous multiplions ainsi les propositions de participations à des salons, pavillons France, missions de prospection individuelles ou collectives, voyages, etc., sans nous poser sérieusement la question du lendemain :  lesquelles de ces entreprises projetées à l’international sauront / pourront tirer parti de ces opportunités ?

Résultat :

Parmi les 125.000 exportateurs français de produits il n’y a que 25.000 exportateurs réguliers ; les 100.000 autres échouent, c’est à dire ils ne font qu’amorcer des ventes qu’ils n’arrivent pas à poursuivre dans la durée [5]. Plus grave encore : le système d’accompagnement basé sur la projection produit donc une immense masse d’entreprises déçues de l’exportation, déçues car elles y ont échoué, faute de préparation.

Ce qu’il faut changer :

Cesser le discours « l’export c’est facile » et inviter au contraire les PME à travailler d’abord sérieusement la préparation de leur conquête internationale :

  • Quelles cibles, quels segments, quelles adaptations de l’offre, quelles intégrations de services dans l’offre, quels modes d’entrée, pour quels objectifs, à quels horizons, avec quelle planification de suivi, avec quels moyens, internes ou externes ?
  • Concentrer l’effort public en faveur de l’exportation sur la préparation des exportateurs, intégrer le coût de cet accompagnement aux dispositifs de soutien financier à l’internationalisation des entreprises.
  • Mettre les entreprises en rapport avec des professionnels ayant les compétences indispensables : professionnels privés, CCI disposant des personnels formés, CCEF, en laissant toujours le choix final de ses accompagnateurs au chef d’entreprise.
  • Exploiter le potentiel de la coopération entre exportateurs : inciter les entreprises à partager de l’information sur les marchés, à augmenter leurs compétences par l’échange entre pair, à monter des actions marketing mutualisées, à réunir leurs offres pour offrir aux acheteurs des solutions plus complètes et plus attractives
  • Piloter l’écosystème de soutien à l’exportation selon un critère simple : le développement des compétences françaises en matière d’exportation : au sein des PME, du dispositif d’accompagnement public et privé, des administrations, de l’enseignement supérieur, etc.

2. Un meilleur financement de l’internationalisation des entreprises

Les enjeux :

La prospection d’un nouveau marché prend en général de trois à quatre ans avant d’être rentable, des années pendant lesquels l’entreprise doit investir en compétences et en prospection ; beaucoup d’entreprises abandonnent en cours de route, faute de moyens financiers pour tenir, et ne voient ainsi jamais le fruit de leurs efforts. Il y a donc un enjeu majeur à mieux financer l’internationalisation des entreprises si l’on veut réduire le taux d’échec des PME françaises à l’export.
Une étude de l’AFIC montre que les entreprises financées par le capital-risque ont une croissance trois fois plus forte que la moyenne, y compris à l’international : elles acquièrent les compétences, soutiennent leur investissement dans la durée ; en tirent les bénéfices.

Pourquoi nous échouons ?

Chacun s’accorde à reconnaître innovation et internationalisation comme les deux vecteurs de la croissance. Mais si l’Etat investit 40 milliards d’euros dans le CICE et 5 milliards d’euros par an dans le CIR, il ne consacre que 120 millions à l’aide financière directe au développement international des entreprises [6].

Ainsi l’Etat investit 330 fois plus pour l’amélioration de la compétitivité de entreprises que pour leurs investissement dans les compétences et la prospection internationales ; le Professeur Katsikeas préconise  au  contraire de consacrer au  moins  autant d’argent à  l’amélioration de la compétence internationale des entreprises qu’à l’amélioration de la compétitivité ; dans le cas de la France son analyse est que la faible culture export des PME française et la faiblesse des budgets consacrés au développement  de la compétence internationale au sein des entreprises annihilent tout l’effet espéré de l’amélioration de la compétitivité sur les ventes export.

Enfin le principal dispositif actuel, l’assurance prospection, retire son soutien aux entreprises qui ne réussissent pas à vendre suffisamment au cours des deux premières années : un système orienté court terme qui décourage les efforts de persévérance indispensables [7], et qui s’avère donc, en abandonnant les entreprises au milieu du gué, trop souvent contreproductif.

Ce qu’il faut changer :

Il faut beaucoup mieux financer l’internationalisation des entreprises, par exemple :

1) Augmenter l’enveloppe du CIE et le spécialiser sur la préparation et les premiers pas des primo-exportateurs : les premiers marchés  sont  les  plus  difficiles  à  gagner,  l’entreprise met en général 4 ans à devenir rentable ; c’est donc légitimement un objet de subvention, ou de crédit d’impôt ; il faut en doper l’enveloppe, la passer de 20 à 200 millions d’euros, par exemple par un modeste rééquilibrage avec le CIR ou le CICE ; porter son plafond de 40.000 à 400.000 euros, utilisables non plus sur 2 ans mais sur 4 ans (le temps nécessaire pour réussir sur ses premiers marchés) ; le réserver à des entreprises ayant un plan sérieux de préparation à l’export ; prévoir, dans des conditions à préciser, son possible renouvellement. L’assortir d’un outil de préfinancement (comme Bpifrance l’a fait pour le CICE) pour compenser le décalage financier d’un an entre dépenses et recettes.

2) Concentrer l’Assurance Prospection sur la conquête des marchés suivants pour les entreprises qui exportent déjà, et la transformer en un financement sous forme d’une avance remboursable ; ce dispositif serait accessible une fois que le premier marché est acquis, que l’entreprise a donc prouvé sa capacité à être rentable à l’export.
Mais il faut infléchir ce dispositif :

  • Le transformer en une avance de trésorerie déployée sur 3 à 4 ans, remboursable intégralement en cas de succès à l’export, et à 35% en cas d’échec (pour responsabiliser l’entreprise),
  • L’assortir d’un taux d’intérêt lié à la croissance de l’entreprise, donc plus fort pour les entreprises qui réussissent grâce à cette avance remboursable,
  • Définir les critères d’attributions pour le réserver à des entreprises bien préparées pour l’exportation (et non à toutes les entreprises comme c’est le cas actuellement),
  • Supprimer toutes les restrictions apportées à la manière dont le budget de prospection financé peut être investi : l’Etat reste souverain pour fixer les règles selon lesquelles une avance remboursable est accordée ou non, mais si elle l’est, alors c’est le chef d’entreprise qui est le mieux placé pour savoir comment organiser ses dépenses de prospection [8] ;
  • Réduire la part de risque porté par l’entreprise, de 35% à 20% si l’entreprise si le projet s’inscrit dans le cadre d’une opération d’exportation collaborative.

3) Trouver une articulation entre cette avance remboursable et les prêts Croissance International de Bpifrance dès que l’entreprise est plus sûre d’elle : prêt sans garantie de l’entreprise, avec une période de franchise, mais à un taux de marché, moindre que l’avance remboursable.

D’autres solutions peuvent être explorées comme : inclure les dépenses d’internationalisation dans un CIR qui deviendrait Innovation + Internationalisation, ou (mieux) moduler le CICE en fonction des efforts et des résultats export de l’entreprise (plus une entreprise exporte plus son CICE serait élevé).

3. Une meilleure offre de financement des ventes export

Les enjeux :

Le grand facteur de compétitivité non-coût, notamment dans le commerce avec les pays émergents, c’est la qualité de l’offre de financement qui peut être faite par l’exportateur à son client : que ce soit pour vendre une machine, un équipement, ou le stock de départ pour un distributeur, si l’exportateur français peut en proposer le financement (et permettre à son client de payer par exemple sur trois ans), alors le facteur prix importe beaucoup moins.
Ceci est un des avantages de l’euro, qui permet des financements à taux faible alors que dans les pays émergents les taux sont élevés (souvent de l’ordre de 15%) [9] et le crédit rare (comme par exemple en Afrique).

Pourquoi nous échouons ?

Le secteur bancaire français n’est, quant à lui, pas motivé pour s’investir dans ce type d’opérations, qui ne se mesurent bien souvent qu’en centaines de milliers d’euros, ni donc pour en faire la publicité auprès des PME et ETI. Les ratios Bâle III et Bâle IV n’incitent en effet pas beaucoup les banques à affecter leurs ressources de crédit en direction des PME et ETI(mais plutôt en direction de l’immobilier…).
Bpifrance commence à se lancer dans cette activité, mais uniquement pour les montants supérieurs à 1 millions d’euros ; or la plus grande partie des ventes unitaires à l’export des PME et ETI sont bien inférieures à 1 millions d’euros.

Les mesures à prendre :

En application du principe de subsidiarité, il revient donc à Bpifrance de :

  • Créer en son sein une « Exim Bank » à la française, qui puisse combler cette lacune du marché en proposant le financement des clients export des entreprises françaises à partir de ventes de 100.000 euros ; réunir sous cette nouvelle bannière toutes les ressources de l’Etat déployées à l’étranger (DGT, etc.) ;
  • Attirer vers cette « Exim Bank » des Fonds d’Epargne (par exemple du livret A, du PEA, du PEL, etc.) pour lui conférer très vite des moyens importants ;
  • Elargir le champ d’application de la garantie publique « risque fournisseur » en sorte que la PME exportatrice puisse de façon simple mobiliser la trésorerie nécessaire auprès de sa banque ;
  • Organiser la communication dynamique auprès des PME et ETI exportatrices : le message (innovant, s’agissant des PME) est que le financement fait en effet pleinement partie du produit, au même titre que son transport à destination, ou que l’installation, la formation utilisateurs, et les contrats de maintenance qui peuvent l’accompagner.

 

[1] PME et ETI représentent respectivement 43 % et 31 % des exportations françaises. C’est sur elles que repose essentiellement le redressement du commerce extérieur français.
[2] Les arguments de compétitivité par le coût du travail tiennent d’autant moins si on regarde la Belgique ou l’Allemagne, qui ont un commerce extérieur excédentaire malgré un coût du travail plus élevé qu’en France ; et que dire de la Suisse, dont le commerce extérieur est massivement excédentaire alors que le franc suisse est au plus haut et les coûts salariaux suisses parmi les plus élevés au monde ?
[3] Hors énergie et matériel militaire.
[4] Conclusion d’une vaste étude internationale conduite par le Professeur Katsikeas, et disponible sur l’article suivant.
[5] Source Douanes : sur 100 exportateurs de l’année n seuls 20 le seront continûment sur 5 ans ; Il n’y a pas d’analyse aussi détaillée sur les exportations de services, mais on peut supposer que le taux d’échec est le même puisque le principe de projection est le même.
[6] 100 millions pour l’assurance prospection export (laquelle n’est en l’occurrence pas un financement mais une assurance contre l’échec de la prospection6) et 20 millions par an pour le crédit impôt export.
[7] Il est, par exemple, “normal” de ne rien vendre en Allemagne pendant les deux premières années de prospection, et de ne voir les ventes décoller qu’à partir de la 3ème année.
[8] C’est, par exemple, un contresens absolu que de limiter les dépenses de site internet aux seuls frais de traduction : la France ne veut donc vraiment pas que ses entrepreneurs créent des market places ? Il est méprisant que la prise en compte du coût salarial des responsables export ou chefs d’entreprise en mission à l’étranger soit plafonnée à 200 euros par jour (tout comme leurs frais de séjour !). Il est absurde que la même mission, si elle est effectuée par un salarié que l’on embauche pour cela, soit éligible à 100%, alors que si elle l’est par un opérateur professionnel externalisé, elle soit plafonnée à 50%…
[9] Dans ce cas, l’entreprise française qui offre à son client un paiement différé simplement d’un an incorpore dans son prix un taux d’intérêt de 1 %, mais son client perçoit un avantage financier de 14% par rapport au fournisseur concurrent exigeant un paiement cash !

Recommandations pratiques pour rendre nos PME et ETI à l’international (version PDF) :

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La Fabrique de l’Exportation