Commerce international : peut-on vivre sans le dollar US ?



Face à l’instabilité des changes et aux risques de sanctions US, comment un exportateur peut-il traiter avec son client asiatique ou africain sans mobiliser le dollar ? Entretien avec Jean-Claude de Sousa, responsable salle de marché assurance export de BPI France.

Comment la suprématie du dollar US se manifeste-t-elle ?

Le dollar s’est imposé comme la devise du commerce international et la monnaie de réserve du monde entier. Il exerce une domination sans précédent dans l’histoire : aujourd’hui, 87 % des opérations de change et 50 % du commerce dans le monde s’effectuent en dollars ; 75 % des billets de 100 dollars circulent en dehors des USA et 60 % des réserves des banques centrales sont libellées en billets verts. Grâce à cela les Etats-Unis « financent sans pleurs » leurs déficits ; tout se passe comme si la dette des Etats-Unis servait à alimenter en dollars les banques centrales du monde entier.

Quel est le rapport entre les sanctions US et l’utilisation du dollar ?

Il existe deux grands types de sanctions US. D’abord des sanctions basées sur les pays, qui interdisent de commercer soit totalement ou soit sur une liste de produits donnés ; ensuite des sanctions basées sur une liste dite « SDN » (Specially Designated Nationals) de toutes les personnes et de tous les organismes avec lesquels il est interdit de commercer, sous peine d’être « contaminé » et ajouté à son tour à la liste. Si ces sanctions ne sont pas reconnues par l’Union Européenne, une entreprise française pourrait en théorie se tenir à l’écart de certaines de ces sanctions US pour autant qu’elle n’utilise pas le dollar dans la transaction, qu’elle n’emploie pas de collaborateurs américains, et qu’elle ne soit pas présente aux Etats-Unis (qu’elle n’y vende rien et qu’elle n’y dispose d’aucun établissement). Elle se fermerait toutefois les relations avec des partenaires (clients, fournisseurs, investisseurs, etc.) ayant un lien avec les US.

Quelles sont les alternatives au dollar pour le commerce international ?

Pour beaucoup de pays, la principale alternative est d’utiliser la devise locale. De plus en plus de pays, comme l’Inde, le Brésil, la Colombie ou le Chili, proposent leur monnaie nationale pour payer leurs importations. C’est aussi une manière d’inciter les exportateurs, qui souhaitent se couvrir contre le risque de change, à délocaliser la production chez eux. De leur côté, de plus en plus d’exportateurs cherchent à s’affranchir des risques de sanctions US liées à l’application « extraterritoriale » du droit américain à toutes les transactions réalisées en dollars, et proposent l’EUR ou la devise locale pour établir la transaction.

Pourquoi est-il important de se couvrir contre le risque de change ?

Parce que les variations de taux de change peuvent être importantes, même en l’absence d’événement extraordinaire. Ainsi entre le 22 février 2017 et le 15 février 2018, une période exempte de crise majeure, le cours de l’euro par rapport au dollar affiche ainsi un écart de 18,8 % entre le point le plus haut et le point le plus bas. De quoi engloutir une partie significative de la marge.

Quels sont les pays avec lesquels on peut utiliser la devise locale ?

On peut répartir les différents pays en trois grandes catégories selon leurs devises. Les « majors » (Etats-Unis, Canada, pays d’Europe, pays nordiques, Japon, Australie, Nouvelle-Zélande, etc.) sont dotés de banques centrales disposant de réserves largement suffisantes pour proposer leur devise ; dans ces pays, l’utilisation de la devise locale ne pose aucun problème.
Ensuite les « marchés émergents » (Brésil, Russie, Inde, Afrique du sud etc), où les banques centrales ne disposent pas de réserves aussi importantes et où peut exister un contrôle des changes. Pour ces pays, il existe néanmoins souvent des solutions bancaires pour se couvrir contre le risque de change et les difficultés de rapatriement.
Enfin, il y a les « pays frontières », dont les banques centrales ont des balances des paiements très déséquilibrées et qui sont souvent très dollarisés car la devise locale n’est pas utilisable. Dans ces pays, il est beaucoup plus difficile, voire impossible, de trouver des produits bancaires pour se protéger contre le risque de change lié à l’utilisation de la devise locale et le dollar et parfois l’EUR sont en général la seule solution.

En quoi consiste « L’Assurance négociation » proposée par BPI France ?

« L’Assurance négociation » garantit un taux de change pour toute la période de négociation liée à la réponse à un appel d’offres ou l’établissement du contrat. Si le taux de change évolue dans un sens défavorable, l’exportateur sera indemnisé ; s’il varie dans un sens favorable, l’entreprise empochera jusqu’à 70 % des bénéfices de change. Et si le contrat n’est pas signé, la majeure partie de la prime sera restituée. En 2018, ce produit s’est étendu aux devises de plusieurs pays : Mexique, Colombie, Chili, Roumanie, Turquie, Inde, Taiwan, Indonésie, Corée, Malaisie, Chine. Il comptera bientôt de nouveaux « éligibles » : Thaïlande, Nigéria, Kenya, Pérou, Islande, Israël, et peut-être l’Egypte…

La Fabrique de l’Exportation

Retrouvez l’intervention de Jean-Claude De Sousa, responsable salle de marché assurance export chez notre partenaire BPI France.
Plus que jamais, la suprématie du dollar américain pose un problème au commerce international : outre l’instabilité des changes elle emporte désormais avec elle une instabilité politique et prolonge l’application du droit américain sur toutes les transactions réalisées en dollars. Dès lors, quels sont les outils pour qu’un exportateur français puisse traiter avec son client asiatique ou africain sans mobiliser le dollar ?

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