La stratégie de marketing international : de la standardisation à l’adaptation.


 

 

Comment les exportateurs optimisent-ils leur stratégie de marketing international ? Les réponses de Magnus Hultman, professeur associé de business international à la Goodman School of Business, de la Brock University (Canada).

Comment définit-on le marketing international ?

Selon l’American Marketing Association, le marketing est l’activité, l’ensemble des institutions et des processus, de création, de communication, de livraison et d’échange d’offres qui ont de la valeur pour les clients, les partenaires et la société dans son ensemble. Selon la définition académique, le marketing international fait référence à l’engagement de l’entreprise à coordonner ses activités et ses efforts de marketing au-delà des frontières nationales, afin de trouver et de satisfaire les besoins des consommateurs mondiaux mieux que ses concurrents. On retrouve les piliers du marketing mix : les « 4 P » (product, price, place, promotion) – ou les « 7 P » si l’on y ajoute le côté services (physical evidence, people, process).

 

Quels sont les principaux enjeux du marketing international ?

Pour réussir dans la compétition sur son marché domestique, une entreprise française doit définir un marketing mix spécifique autour de 4 facteurs (Product, Price, Place, Promotion) ou de 7 facteurs (Product, Price, Place, Promotion, Process, People Physical evidence). Jusque dans les années 70-80, la position théorique des universitaires et la pratique des entreprises était d’ajuster ce marketing mix à chaque nouveau marché abordé à la lumière de chaque réalité locale.

Si elle souhaite étendre son business en Belgique, elle pourrait devoir ajuster son programme marketing à la lumière d’une nouvelle réalité locale. Puis si elle veut s’implanter au Royaume-Uni, de nouveaux ajustements pourraient s’avérer nécessaires. En théorie, l’entreprise pourrait nécessiter autant de versions de son programme marketing que de pays où elle exporte. Ce qui augmente la complexité et aussi les coûts, du fait des changements (dans les produits, la distribution, la promotion, etc.) opérés pour s’adapter au marché local et à l’environnement réglementaire et politique du pays. Telle était, jusqu’aux années 1970, la position théorique des universitaires et la pratique dominante des exportateurs.

Mais il y a 40 ans, un professeur de Harvard, Ted Levitt, a montré que l’adaptation marketing au marché local n’était pas toujours nécessaire. Une entreprise peut vendre les mêmes produits, aux mêmes prix, avec une distribution et une promotion similaires, sur tous les marchés. L’offre se standardise avec la globalisation, aussi, assisterait-on à une homogénéisation des besoins, des goûts et des comportements d’achat des consommateurs à travers le monde ?

 

Standardiser ou adapter : quels sont les principaux arguments en faveur de chacune de ces deux stratégies ?

Un programme marketing standardisé mise sur l’homogénéisation des clientèles internationales. Il permet de réaliser des économies d’échelle et d’envergure (production, transport, marketing). Il contribue à créer une marque mondiale. Les nouveaux produits peuvent être lancés plus rapidement dans les différents pays. Cette stratégie permet d’exploiter de surcroît les effets du pays d’origine (par exemple pour le vin venant de France ou les montres suisses). Les Hôtels Marriott ou Apple, par exemple, ont opté pour la standardisation. 

Un programme marketing adapté est plus fidèle au concept même de marketing : on apporte plus de valeur aux clients si l’on s’adapte plus finement à ses besoins. Il permet de réaliser une meilleure performance sur les marchés étrangers et d’acquérir une meilleure connaissance de ces marchés. De plus, les managers locaux et les employés étrangers sont plus motivés car ils ont plus d’autonomie et de responsabilités. McDonald’s, cité comme référence en matière de standardisation, adapte pourtant son menu dans chaque pays.. En 2008, Château-Lafitte, une marque pourtant reconnue dans le monde entier, a aussi adapté sa bouteille pour le marché chinois.

 

Finalement, quelle est la stratégie la plus efficace ?

La question fait débat dans le monde académique et parmi les exportateurs. Les résultats empiriques sont dispersés. La recherche académique a publié des centaines d’articles sur le sujet… Certains auteurs voient un lien positif entre l’adaptation du programme marketing et la performance, d’autres y voient un lien négatif, d’autres encore (la majorité) y voient un lien mitigé ou non significatif. On voit des entreprises qui réussissent en choisissant l’une ou l’autre des deux stratégies. Se focaliser sur le lien direct entre adaptation et performance n’est donc sans doute pas la meilleure approche pour résoudre cette contradiction. C’est pourquoi nous avons fait appel à la théorie de la contingence. Car la question n’est pas de savoir si l’une des deux stratégies est meilleure que l’autre, mais plutôt quand est-ce qu’elle est la meilleure. La théorie de la contingence affirme que la pertinence d’une stratégie spécifique dépend de son adéquation (« fit ») avec les conditions environnementales pertinentes. L’adaptation n’est pas bonne en soi, la standardisation non plus. Tout dépend des circonstances, du contexte.

 

Qu’est-ce que l’adéquation ou l’ajustement (fit) de la stratégie ?

Également appelé congruence, contingence, appariement ou coalignement, c’est l’efficacité avec laquelle les ressources et les capacités d’une organisation sont alignées sur les opportunités et les menaces que présente l’environnement… Mais aussi l’efficacité avec laquelle l’organisation met en œuvre une stratégie choisie dans certains environnements – car il faut savoir quoi faire mais aussi comment le faire. Selon Michael Porter, l’ajustement stratégique entre de nombreuses activités est fondamentale non seulement pour l’avantage concurrentiel mais aussi pour la durabilité de cet avantage. Toutes les recherches stratégiques posent comme théorème central que les processus d’une organisation doivent s’adapter à son contexte pour qu’elle survive et soit efficace… Ce qui implique que la performance de toute entreprise dépendra de l’adéquation entre le contexte, la structure et les processus à tous les niveaux.

 

Quand ce principe de l’ajustement est-il applicable pour les entreprises ? 

Si une entreprise a besoin de recruter de nouveaux commerciaux pour une filiale étrangère, elle devra mettre en adéquation sa culture d’entreprise, la culture locale et la personnalité des employés. Si elle rencontre des problèmes de satisfaction client dans une certaine région, il faudra un ajustement entre les attributs du produit, les pratiques de distribution locales et les attentes des clients. Si elle souhaite véhiculer une image de marque unifiée sur tous les canaux de communication, elle devra adapter les messages de la marque à ces différents canaux. Si elle décide de maîtriser ses coûts plutôt que de se différencier, elle devra aligner la stratégie, les capacités de l’entreprise et l’environnement du marché. Et si elle souhaite savoir s’il faut standardiser ou adapter son programme marketing pour les marchés étrangers, il faudra un ajustement entre les 4P et les contingences environnementales affectant la standardisation et l’adaptation.

 

Dans ce contexte, quels étaient les objectifs de votre étude ?

Il restait plusieurs questions non résolues. Quels sont les prérequis de l’ajustement de la stratégie marketing à l’international ? Que faut-il pour que cette adéquation soit effective ? Existe-t-il des conditions dans lesquelles cet ajustement est plus ou moins efficace ? Les exportateurs doivent-ils toujours s’efforcer d’atteindre l’ajustement ? Est-il pire de trop s’adapter ou de s’adapter trop peu aux conditions du marché étranger ? Notre étude avait ainsi pour objectifs d’examiner les prérequis de l’ajustement et son impact sur la performance, la manière dont la complexité organisationnelle modère cette relation ajustement-performance, et l’effet potentiel de la sur-adaptation par rapport à la sous-adaptation. Nous nous sommes fondés pour cela sur la théorie de la contingence (mécanismes d’ajustement), la théorie institutionnelle (rôle du besoin dans l’adaptation) et la théorie des capacités (rôle de la capacité d’adaptation).

 

Comment ces différents concepts théoriques sont-ils liés les uns aux autres ?

Comme le confirme une enquête auprès de managers, à la base de l’adaptation, il y a le besoin de s’adapter. Certains marchés d’exportation, très différents du marché domestique, exigent effectivement une adaptation. Ces différences peuvent porter sur l’environnement socioculturel, réglementaire, technologique, l’intensité de la concurrence, les caractéristiques des consommateurs, l’infrastructure de commercialisation, l’étape du cycle de vie du produit… Plus le besoin d’adaptation est élevé, moins la probabilité d’atteindre l’ajustement de la stratégie marketing est forte. Il existe ainsi une relation négative : plus le besoin d’adaptation est élevé, moins l’ajustement de la stratégie fonctionne. Nous l’avons vérifié empiriquement et théoriquement. L’ajustement de la stratégie peut être vue comme l’inverse de l’écart, de la distance, entre le besoin de s’adapter et le niveau d’adaptation marketing.

Certaines entreprises ont une plus grande capacité d’adaptation que d’autres. Les capacités organisationnelles nécessaires pour adapter avec succès sa stratégie marketing à l’international reposent sur des « connaissances adaptatives » – sur la manière de s’adapter aux marchés internationaux – qui s’acquièrent grâce à une longue présence à l’international, un degré élevé d’internationalisation et un fort engagement international. Ces capacités d’adaptation s’appuient aussi sur le degré de contrôle de l’exécution – sur les décisions portant sur le marketing mix sur le marché étranger.

Le besoin de s’adapter, les connaissances adaptatives et le contrôle de l’exécution sont les trois piliers de l’ajustement stratégique. Et l’ajustement engendre la performance – marketing, commerciale et financière. Les enjeux sont plus importants pour les organisations complexes, c’est-à-dire les grandes entreprises et/ou les exportateurs actifs dans de nombreux pays.

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