Les enjeux spécifiques des "micro-multinationales"


Déploiement mondial des grands donneurs d’ordres, harmonisation de la demande mondiale : ces grands mouvements font qu’aujourd’hui, on peut parfois  vendre le même logiciel ou la même pièce détachée partout dans le monde, et que les « niches » d’aujourd’hui sont beaucoup plus larges sur le plan géographique que celles d’hier. Comment s’organisent les PME et ETI qui réussissent à adresser des marchés mondiaux sans disposer d’une structure de grande entreprise multinationale ?
 
Les réponses d’Anastasia Sartorius, doctorante en sciences de gestion à l’IAE de Lyon.

Quelles sont les principales caractéristiques des entreprises que vous avez étudiées ?

J’ai travaillé avec six ETI et PME en croissance de la région Auvergne-Rhône-Alpes, toutes industrielles et indépendantes, positionnées sur des marchés de niche. Ces entreprises vont au-delà de l’exportation et déploient un réseau de filiales à l’étranger ; surtout elles sont présentes sur un grand nombre de marchés étrangers ; c’est pourquoi on les appelle parfois « micro-multinationales ». Elles s’internationalisent pour se rapprocher de leurs clients internationaux et créent principalement des filiales commerciales, préférant garder la R&D et la production en France. Ces entreprises cherchent à conserver le contrôle sur le développement de l’entreprise et privilégient souvent la croissance organique à la croissance externe. Pour relever les défis de l’internationalisation avec des ressources limitées, elles développent des stratégies spécifiques et font preuve en particulier d’une grande flexibilité organisationnelle.

Quels sont les enjeux clés du développement international de ces PME et ETI ?

Le premier enjeu est d’assurer un bon suivi des clients, car c’est le cœur du mode d’internationalisation de ces entreprises. Pour cela, elles doivent relever un deuxième défi qui est celui de l’augmentation du niveau d’expertise dans les filiales, afin de répondre au mieux à la demande des clients et d’être capable d’anticiper leurs besoins futurs. Un développement rapide à l’international va exiger une reconfiguration organisationnelle et une structuration des processus internes. Il s’agira aussi de développer l’intelligence économique, déterminante sur les marchés de niche. Enfin, point le plus important, il faudra animer le marché global (et pas seulement pays par pays) en gérant toutes les interdépendances entre les différentes filiales.

Comment ces ETI et PME leaders gèrent-elles la complexité croissante de leurs activités internationales ?

Au début, ces entreprises ont tendance à gérer leur internationalisation pays par pays, en fonction des opportunités, mais ensuite elles vont s’efforcer de développer une approche cohérente des marchés à travers le monde. C’est pour cela que le rôle de Responsable Marché Global au siège est très important et doit être bien cadré. Car c’est lui qui doit coordonner les activités des différentes filiales pour garantir la cohérence de la stratégie globale. Il doit donc entretenir de bonnes relations avec les directeurs des filiales. Cette coordination doit notamment permettre d’encadrer les tentations parfois trop opportunistes des filiales de suivre leur propre stratégie ou d’éviter l’empilement des marges lorsque plusieurs d’entre elles sont impliquées dans un même projet.

Comment ces entreprises arrivent-elles à poursuivre leur croissance à l’international de façon pérenne ?

Afin d’animer un marché global et de développer des projets transversaux impliquant plusieurs filiales, il faut encourager la collaboration directe entre les filiales et développer une culture organisationnelle de partage. Car si l’on veut éviter les incompréhensions et les conflits d’intérêts nés d’une asymétrie d’information, il faut partager les informations dans les deux sens : des filiales vers le siège, et du siège vers les filiales, voir les filiales entre elles .
L’objectif final est que la performance de l’entreprise soit supérieure à la somme des résultats de chaque filiale. Il s’agit donc de trouver des synergies dans le travail des filiales pour saisir plus d’opportunités d’affaires, d’optimiser les ressources, autrement dit, il faut apprendre à profiter de sa « multinationalité ». Cette approche se heurte souvent aux KPIs des directeurs des filiales, qui restent à tort souvent liés aux seuls résultats de leur seule unité.

La Fabrique de l’Exportation