Les outils numériques : de puissants leviers à mobiliser pour l’export


 

 

L’intégration d’outils numériques au sein des PME ouvre de belles opportunités pour le développement international. Quel est l’impact des différents outils sur les pratiques à l’export ? Quelle transformation impliquent-ils pour l’entreprise ? Entretien avec Manon Enjolras, enseignante-chercheuse du laboratoire ERPI (Université de Lorraine).

 

Quel est le contexte de vos recherches ?

Le laboratoire ERPI de l’Université de Lorraine est spécialisé dans l’étude des processus d’innovation et nous y étudions notamment l’impact des outils numériques sur les pratiques d’exportation des PME. Moins risquée et plus progressive, l’export est le mode d’entrée privilégié des PME. Les principaux défis auxquels celles-ci doivent faire face sont liés à la question cruciale des ressources : moyens financiers, informations sur les marchés, ressources humaines, temps… Leur succès à l’étranger va dépendre de leur capacité à mobiliser de façon adéquate ces ressources pour atteindre leurs objectifs. Pour cela, nous partons du principe qu’elles doivent mettre en place des bonnes pratiques, qui vont avoir un impact sur leur organisation. Dans la littérature scientifique, on dit que l’export est une activité « dénaturante », au sens où elle pousse les PME à structurer leurs processus en interne et à adopter des pratiques plus proches de celles des grandes entreprises. Les outils numériques ouvrent des opportunités pour les PME à l’export et leur apportent des solutions « facilitantes » pour rivaliser avec les grandes entreprises. Ils permettent d’abord de compenser une présence physique faible sur les marchés étrangers. Grâce au marketing digital, les PME peuvent se rapprocher de leurs clients et gagner en visibilité. Le e-commerce leur ouvre des perspectives de gains de parts de marché en facilitant l’accès à leurs produits et services. Enfin, les outils numériques permettent aussi de renforcer la performance des processus internes (suivi, pilotage, capitalisation, partage d’informations), de mieux structurer le fonctionnement des entreprises, et donc de faciliter cette activité « dénaturante » qu’est l’exportation.

 

Quel est le champ couvert par ces outils numériques ?

  1. E.: La littérature scientifique identifie trois grandes catégories d’outils numériques, ayant chacun des objectifs différents. La première regroupe les outils de e-marketing, qui permettent de simplifier et d’étendre la portée des actions de communication et de promotion à l’étranger. A titre d’exemples, on peut citer l’utilisation des réseaux sociaux, le référencement web, les outils de tracking (Google Analytics), ou encore l’e-mailing ou la rédaction de newsletters. La seconde catégorie concerne le e-commerce, dont l’objectif est de faciliter les transactions à l’étranger via la vente de biens et de services en ligne. Cela passe par la mise en place d’un site marchand, de services de chat en SAV, de systèmes d’information pour gérer les factures, les commandes, les devis… Les outils de e-business visent, quant à eux, à améliorer les processus de production et la gestion interne de l’entreprise. Il s’agit d’outils liés à « l’industrie 4.0 », comme l’internet des objets, le big data, la robotique, la conception numérique, les plateformes collaboratives, mais aussi les outils de gestion client (CRM) et de gestion de l’information (ERP).

 

Quel est l’objectif de votre étude ?

Les PME éprouvent des difficultés pour mobiliser des ressources pour l’export et les outils numériques vont les aider à relever plus facilement certains défis. L’objectif de notre étude est d’identifier plus précisément la façon dont la digitalisation va agir sur les pratiques des PME exportatrices et faciliter leurs activités internationales. Nous cherchons à proposer une analyse croisée avec d’une part les outils numériques, chacun ayant sa propre fonction, et d’autre part les pratiques d'exportation de l’entreprise. Dans un premier temps, nous avons réalisé une étude théorique basée sur la littérature scientifique, afin d’identifier les apports potentiels des différents outils numériques sur les pratiques d’export. Pour cela, nous avons confronté les catégories d’outils numériques à un référentiel des pratiques d’exportation que nous avons construit au sein du laboratoire ERPI. Ce référentiel intègre six thématiques – stratégie, ouverture, adaptation de l’offre, organisation, ressources humaines, gestion – déclinées en 22 pratiques d’exportation. En confrontant ces deux référentiels, nous cherchons à identifier les pratiques les plus impactées selon le type d’outil utilisé.

 

Quels sont les enseignements de cette analyse croisée ?

L’impact des outils de e-marketing est a priori concentré sur les pratiques liées à l’ouverture et à l’adaptation de l’offre, parce ces outils vont permettre d’échanger plus facilement avec les clients potentiels, d’identifier des opportunités d’amélioration des différents produits ou services, de nouer des partenariats, et d’améliorer la visibilité de l’entreprise. Les outils de e-commerce vont plutôt impacter l’organisation de l’entreprise et le modèle économique – et donc l’adaptation de l’offre. Enfin, les outils structurants de e-business ont un impact plus uniformément réparti sur les différentes pratiques export de l’entreprise, avec un focus sur l’organisation et la gestion administrative. L’ambition de notre recherche est de concevoir, à partir de cette analyse croisée, une méthode qui permettrait de proposer un plan d’actions spécifique pour chaque entreprise. L’idée serait d’évaluer les pratiques d’exportation d’une entreprise, de construire son profil de fonctionnement – avec ses points forts et ses marges de progression – puis de définir une stratégie d’amélioration personnalisée, en identifiant les outils numériques qui peuvent agir comme des leviers pour cette entreprise en particulier.

 

Où en est aujourd’hui ce projet de recherche ?

A ce jour, nous avons validé notre grille d’analyse auprès de la communauté scientifique, via une publication l’année dernière. Il s’agit désormais de confronter cette approche théorique au quotidien des entreprises. Nous avons ainsi lancé une enquête de terrain début 2021 auprès de PME et d’ETI exportatrices de tous secteurs d’activité. Nous avons rencontré jusqu’à présent des entreprises orientées majoritairement vers le B2B et dans des secteurs plutôt industriels. L’idée est de recenser les outils numériques en place au sein de ces entreprises, ainsi que ceux qu’elles souhaitent intégrer, puis d’évaluer l’apport potentiel de ces outils sur leurs processus d’export.

 

Quel premier bilan tirez-vous de cette étude ?

Le numérique permet de se différencier, sur le marché domestique et sur les marchés étrangers. A l’international en particulier, il permet un gain de temps et d’argent, en limitant notamment les déplacements. Il apporte aussi l’immédiateté et la centralisation des données, qui constituent un réel avantage compétitif. Mais le digital apporte aussi son lot de bouleversements au sein des entreprises. Les outils sont très interconnectés et souvent mis en place de manière simultanée. Le numérique représente donc une transformation globale. Les entretiens réalisés mettent en lumière un changement de paradigme en marche. Si certains aspects de la transformation digitale sont à forte valeur ajoutée, très offensifs et très différenciants pour les entreprises, d’autres sont devenus des indispensables. Une tendance qui risque de s’accélérer à l’avenir. 

 

Quels sont les premiers apports de ce travail ?

L’étude est en cours mais nous avons déjà pu repérer des pistes intéressantes à creuser. Nous avons identifié de nouvelles relations dans notre cadre d’analyse théorique que nous n’avions pas forcément anticipées, notamment sur les opportunités de nouveaux modèles d’affaires et la stratégie. Nous avons également mis en évidence le fait que ces différents outils numériques sont en constante interaction, et ont un impact transversal, systémique, sur l’organisation de l’entreprise. La catégorisation de ces outils (e-marketing, e-commerce, e-business) ne fait donc pas tout à fait sens. Enfin, certaines observations mettent en évidence l’influence du contexte dans lequel évolue l’entreprise, de son secteur d’activité, de son type de marché, de sa taille…

 

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