Tribune : Réindustrialiser pour résoudre notre déficit commercial ?  Oui mais commençons par exporter davantage de services !


Au cours des 20 dernières années les exportations françaises de services ont crû de 156%, contre une croissance de 75% pour les exportations de produits sur la même période; elles représentent désormais 30% des exportations françaises totales exprimées en chiffre d’affaires, et bien davantage en terme de valeur ajoutée exportée car un euro de services exportés représente une valeur ajoutée française exportée supérieure à celle d’un euro de produits exportés; or c’est bien l’évaluation du commerce international en valeur ajoutée qui est pertinente, car c’est la valeur ajoutée exportée et non le chiffre d’affaires exporté qui est l’indicateur le plus proche de la création ou du maintien d’emplois en France.

Ce dynamisme des exportations de services peut sembler surprenant dans un moment où l’on parle surtout de réindustrialisation; il bénéficie de peu de visibilité et échappe donc au débat public, mais les échanges de services ont générés un excédent moyen de 20 Mrds par an sur la période 2000-2019, jusqu’à 36 Mrds en 2021. Alors faut-il attendre une hypothétique réindustrialisation qui pourrait redresser notre balance commerciale des biens à 10 ans, ou bien chercher à exceller dès aujourd’hui dans la voie de l’exportation de services dont notre pays est déjà un spécialiste, y compris les services développés par les entreprises productrices de biens ?

Pour bien comprendre ces exportations de services il faut d’abord regarder de quoi elles sont composées; on confond souvent en effet exportations de services et tourisme; certes le tourisme est important au sein des exportations de services à destination des particuliers, mais ces dernières ne représentent que 22% de nos exportations de services. 78% de nos exportations de services sont des services aux entreprises: transport, financement, assurance, IT, telecom, conseil, maintenance, propriété intellectuelle, R&D, etc.

Pourquoi la France exporte-t-elle autant de services aux entreprises? La première raison en est le formidable succès de l’implantation des firmes françaises à l’international; depuis 2020 les entreprises françaises ont décidé de s’implanter massivement à l’étranger, d’abord pour tirer parti des opportunités commerciales offertes par la globalisation, et probablement aussi pour diversifier leur risque politique face à un pays qui était capable d’imposer des lois anti-business aussi radicales que les 35h obligatoires pour tous. Ainsi au cours de la période 2000-2020 les entreprises françaises ont investi 1083,4 Mrds € à l’étranger, pour y construire des usines et y établir des filiales, pendant qu’en même temps la France accueillait 438,8 Mrds d’investissements étranger; aujourd’hui ces implantations françaises à l’étranger sont à l’origine d’exportations de services BtoB, mais également d’importants rapatriements nets de dividendes.

L’exportation de services ce sont aussi de nouveaux marchés en expansion rapide comme l’éducation, la santé, les services environnementaux, les services digitaux, etc ; des exportations dont la croissance est boostée par l’adoption universelle et massive des e-services pendant le Covid. Il y a là un terrain de croissance important, ne serait-ce que sur le marché de l’UE, mais également à terme au sein de la francophonie car la langue est un atout pour ce type de services; une chance à saisir, notamment en direction des pays d’Afrique, où la croissance du niveau de vie commence à stimuler les importations de services.

Enfin, l’exportation des services est un développement naturel des exportations de produits, en particulier dans un contexte où les coûts de transaction internationale sur les produits (transport, réglementation, coût carbone) ont tendance à augmenter fortement. Ainsi les ventes de services liés à la mise en place de franchises, les ventes de licences ou de pièces détachées digitalisées, les offres de financement associées aux ventes de produit, la facturation des produits “à l’usage”, la location ou le leasing de produits, la vente de services associés de maintenance ou de recyclage sont autant de services dont la croissance est tirée par les exportateurs de produits, lesquels deviennent de plus en plus des exportateurs de services lorsque le marché ou la réglementation l’exige.

Les exportations de services sont une pratique à part; elles ne fonctionnent pas comme les exportations de produits: il n’y a pas de container ni de palettes, ce ne sont pas les mêmes modes d’entrée sur les marchés ni les mêmes logiques marketing ou réglementaires, elles ne font pas appel aux mêmes compétences ; il faut donc rapidement mener un aggiornamento de notre écosystème exportateur, pour être plus efficaces dans l’exportation de services; pour celà il nous faut investir la même énergie pour développer l’exportation de services et de produits, que ce soit en terme de recherche, d’études de marché, de services d’accompagnement export, etc. Marcher sur deux jambes, en accordant la même importance à chacune des deux.

Dans notre pays on a souvent tendance à paniquer devant le caractère abyssal de notre déficit des échanges de biens, chaque année plus important; alors depuis vingt ans on choisit régulièrement un nouveau bouc émissaire, comme pour se rassurer : on a ainsi pu lire successivement que nos difficultés à l’exportation étaient dues à un euro trop fort, des charges sociales trop élevées, des impôts de production trop hauts, une compétition mondiale injuste, une base industrielle trop faible, une énergie trop chère, etc. Sans accepter de voir que d’autres pays, à commencer par nos voisins immédiats (Suisse, Allemagne, Belgique par exemple), réussissaient très bien à performer à l’exportation avec le même type d’environnement que nous. Ces diagnostics erronés nous font perdre du temps ; on préfère attendre Godot et l’amélioration magique de notre performance export par la correction d’un seul critère; mais en attendant on passe à côté des vraies opportunités. 

Tout miser sûr une réindustrialisation, forcément lente à venir, serait une grave erreur; personne dans ce pays n’est obligé de copier le modèle allemand, et s’il fallait absolument mettre en avant un comparable alors le Royaume-Uni, avec ses excédents dans les échanges de services et un fort déficit sur les biens, mériterait le même degré de respect et d’intérêt. Au-delà des comparaisons, chaque pays doit trouver sa propre voie à l’international, et la nôtre passe apparemment par l’exportation de plus services et l’implantation à l’international, c’est en tous cas ce que sa trajectoire 2000-2019 semble clairement indiquer.

1 Bulletin de la Banque de France, 236/1 – Juillet-Août 2021, Twenty years of growth in France’s trade in services

2 Sur ce point on peut déplorer le manque de données agrégées et récentes sur ce sujet. La Lettre Trésor-Eco de la DGT #207 d’octobre 2017 propose en page 8 une évaluation du contenu domestique des exportations françaises par secteur  

3 Bulletin de la Banque de France, 236/1 – Juillet-Août 2021, Twenty years of growth in France’s trade in services

4 Source INSEE: Flux d’investissements directs entre la France et l’étranger, Données annuelles de 2000 à 2020 (3/09/2021)

5 Source Banque de France, rapport annuel 2021 de la balance des paiements: en 2021 le déficit sur les échanges de biens (-67,4 Mrds) est plus que compensé par les excédents sur les échanges de services (+36,4 Mrds) et le sold net des revenus d’investissements (+54,5 Mrds) laissant ainsi apparaître un excédent de la balance des paiements (+9 Mrds)

6 Lire à ce sujet l’inspirante étude de la Banque Mondiale: “The Unexplored Potential of Trade in Services in Africa”, 2016

 

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