V.I.E et croissance internationale des PME : quelles utilisations et quels impacts ?


 

 

Comment les PME utilisent-elles le dispositif V.I.E (volontariat international en entreprise), et quels en sont les effets sur leur croissance internationale ? Les réponses de Karine Guiderdoni, maître de conférence en sciences de gestion à l’université d’Aix-Marseille.

 

Quelles sont les principales singularités du V.I.E ?

Le V.I.E est un dispositif qui existe uniquement en France. Son principe : une jeune personne de 18 à 28 ans, française ou européenne, récemment sortie des études, se voit confier une mission de 6 à 24 mois dans une entreprise française opérant à l’étranger, dans un domaine comme les ventes, la technique, les fonctions support, etc. Pendant sa mission, le V.I.E bénéficie du statut d’agent territorial et reçoit une allocation mensuelle variable selon le pays d’affectation. Le V.I.E est aussi un dispositif historique et populaire. Historique parce qu’il a été créé en 2000, et est l’héritier du Service national en entreprise (créé en 1983), lui-même héritier du service de coopération. Populaire parce que depuis 2001, le dispositif V.I.E / V.I.A a concerné environ 100.000 jeunes et près de 8.000 entreprises selon Business France. C’est aussi un dispositif très suivi, avec des données chiffrées publiées mensuellement par Business France, des sites Internet dédiés, un Club des anciens V.I.E, des prix V.I.E, des conférences dans les écoles et les universités, des publicités dans les médias, etc. L’autre grande singularité du V.I.E, c’est qu’il s’agit d’un dispositif fondé sur une triade d’acteurs et sur le principe « gagnant-gagnant ». 

 

Comment cette triade d’acteurs fonctionne-t-elle et quels sont les gains attendus ?

Entre les trois acteurs du dispositif (jeune diplômé, entreprise française, Business France), il existe des échanges de services informationnels, opérationnels et financiers. Business France prend en charge le côté administratif, juridique et social du contrat. Le jeune et l’entreprise sont liés par une mission ; l’entreprise doit mettre en place un suivi et le jeune doit s’acquitter de cette mission. 

 

Le V.I.E est présenté comme un dispositif qui permet au jeune et à l’entreprise d’être tous deux gagnants. Avantages pour les entreprises : un contrôle des coûts du V.I.E, une meilleure gestion RH dans une logique de « prêt à l’emploi », une solution flexible pour les RH, un accès en ligne à une banque de CV de jeunes talents, une augmentation de la notoriété de l’entreprise auprès des jeunes et l’extension de sa dimension internationale. Avantages pour les jeunes diplômés : un revenu mensuel correct, un espace de travail cadré dans un pays étranger, une expérience professionnelle avec des missions à haute valeur ajoutée, un accès au réseau V.I.E, un développement personnel et une réputation professionnelle accrus grâce à une distinction spécifique (VIE Award) ; voilà un tremplin professionnel pour une carrière internationale de cadre.

 

A quels types d’entreprise ce dispositif s’adresse-t-il ?

Historiquement, le V.I.E était tourné essentiellement vers les grandes entreprises, dotées de filiales à l’étranger. Mais depuis quelques années, le dispositif a évolué et s’est ouvert au monde des PME. Pour résoudre la question de la structure d’accueil dans le pays de destination quand la PME n’y a pas de filiale, il existe une possibilité de portage géographique (OSCI, CCI à l’international). Et quand il n’y a pas de référent local, il peut y avoir un portage stratégique, grâce au relais des Conseillers du commerce extérieur de France (CCEF) pour encadrer le jeune sur place. Pour mieux répondre à leurs besoins sur le plan financier, les PME peuvent aussi bénéficier de subventions régionales exceptionnelles, d’incitations nationales (chèque de relance VIE de 5.000 à 10.000 euros), ainsi que de la possibilité d’intégrer les coûts du V.I.E dans l’Assurance Prospection Bpifrance ou dans le prêt Croissance internationale (PCI). Les PME ont aussi la possibilité de se regrouper pour bénéficier d’un « V.I.E partagé » ou « à temps partagé ».

 

Quels étaient les sujets et le contexte de votre recherche ?

Le dispositif V.I.E renvoie au concept d’Export Promotion Program (EPP), c’est-à-dire d’un ensemble de services créés et proposés sur des initiatives publiques et/ou privées aux entreprises dans le but de les aider à surmonter les obstacles liés à leur internationalisation. Il existe une littérature académique abondante sur cette thématique, qui s’interroge sur les types d’aides à apporter aux entreprises (informationnelle, opérationnelle, financière), ainsi que sur le type de connaissances (objectives ou basées sur les expériences). Il existe des débats et notamment la controverse autour du lien entre l’utilisation de ces programmes et dispositifs d’aide et la performance à l’exportation. Mais on s’interroge finalement assez peu sur leur rôle dans l’internationalisation des entreprises et on manque surtout d’analyse longitudinale.

 

Et sur le sujet du V.I.E ?

C’est un paradoxe car le dispositif V.I.E est unique, historique et populaire, et aucune recherche académique n’a été menée. Sans analyse longitudinale, il est  très difficile de comprendre l’usage des V.I.E dans le temps et d’en mesurer les effets. Souvent, dans les recherches sur les évaluations des pratiques professionnelles (EPP), l’unité d’analyse, c’est l’entreprise. Or celle-ci peut bénéficier en même temps de différents types de dispositifs ; il est donc très compliqué d’arriver à isoler les effets d’un seul dispositif. Business France met en place un certain nombre d’évaluations sur les V.I.E, mais celles-ci sont incluses dans des enquêtes d’impact beaucoup plus larges et l’échantillon d’entreprises utilisatrices des V.I.E ne représente qu’environ 10 % du total. De plus, ces enquêtes sont réalisées sur le mode déclaratif et n’ont donc pas une fiabilité statistique. 


Dans ce contexte, notre objectif de recherche était de comprendre comment les entreprises utilisent le dispositif V.I.E dans le temps, de savoir si l’usage du V.I.E est différencié selon les types d’entreprises, et d’identifier les effets du V.I.E sur le comportement des PME, en termes de rythme de développement international, d’étendue géographique et de croissance.

 

Quelle méthodologie avez-vous utilisée ?

Dans le cadre d’une convention de recherche, nous avons eu accès à la base de données V.I.E de Business France pour la période 2011-2016, qui contenait 8.512 entreprises.  Nous avons croisé ces données avec les bases d’Orbis, de Coface, des Douanes. Nous nous sommes aussi interrogés sur les pays, la logique des risques et la dimension culturelle, avec des bases comme International country risk guide et Globe. Nous avons obtenu  un panel final de 4.780 entreprises avec des données fiables et complètes, et avons complété cette approche quantitative avec une étude qualitative basée sur des entretiens semi-directifs exploratoires auprès de PME. 

 

Quels résultats avez-vous obtenus ?

Premier constat : il y a une croissance constante du nombre d’entreprises qui utilisent le V.I.E sur la période 2011-2016. Nous observons également que les entreprises utilisatrices du dispositif se situent majoritairement dans les secteurs industriels « technologie & services » et « industrie & cleantech » basées à 49 % en Ile-de-France. Alors qu’entre 2009 et 2011, ce sont les grandes entreprises et les ETI qui ont eu recours majoritairement aux V.I.E, on observe une rupture en 2012 pour les grandes entreprises et une chute en 2014. Depuis 2013, les PME ont recours de façon constante aux V.I.E et, si elles arrivent après les ETI et les grandes entreprises dans le classement en volume sur la période 2011-2016, elles sont en tête pour ce qui est du taux de croissance.

 

Les secteurs d’activité qui ont le plus recours aux V.I.E sont, dans l’ordre, finance et assurance, technologies de l’information et télécommunications, industrie automobile et transport. En matière de taux de croissance, ce sont les secteurs de la santé et des technologies de l’information et des télécommunications qui progressent le plus. Pour ce qui est des régions, les plus utilisatrices de V.I.E sont, dans l’ordre, l’Ile-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes, l’Occitanie et les Hauts de France. L’évolution dans ce domaine est lente, elle dépend du tissu économique, de la dynamique et des politiques publiques incitatives régionales. 

 

Quels enseignements en tirez-vous ?

Au-delà de cette vision générale, nous avons pu faire émerger une typologie des entreprises utilisatrices du V.I.E en fonction de la fréquence de leur recours au dispositif. Sur la période 2011-2016, il faut noter que 72,2 % des entreprises n’ont utilisé qu’une fois le dispositif, 23,6 % l’ont utilisé deux fois, et 4,1 % l’ont utilisé plus de quatre fois. Il apparaît que les entreprises qui ont fait un usage unique du V.I.E sur la période sont plutôt des PME et des ETI, dans les secteurs industrie et cleantech, basées à Paris, les Hauts-de-Seine, le Rhône ou le Nord, sur des destinations des pays comme la Chine, l’Allemagne, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la Belgique. Les « convaincus » du V.I.E, qui ont utilisé à deux reprises le dispositif sur cinq ans, sont aussi plutôt des PME et des ETI, du secteur technologie & services, implantées dans les Hauts-de-Seine, Paris et le Nord, et visant principalement les Etats-Unis, l’Allemagne et la Belgique. Enfin, les « accros » du V.I.E, ayant utilisé le dispositif plus de quatre fois, sont plutôt de grandes entreprises de l’industrie ou de la cleantech, de Paris ou des Hauts-de-Seine, visant la Chine, le Royaume-Uni et l’Allemagne.

 

Et quels sont, plus spécifiquement, les résultats pour les PME ? 

Sur la période 2011-2016, les PME les plus utilisatrices du dispositif V.I.E se situent dans les secteurs technologie & service et industrie & cleantech. Leur effectif est compris entre 51 et 150 personnes. Quant au profil de mission, il est orienté « commercial » à 42 %, « production / technique » à 37 %, et « support » (RH, finance, qualité) à 21 %. Les PME utilisent donc le dispositif V.I.E à la fois dans une logique d’exploration de nouveaux marchés et d’exploitation d’activités à l’international. On observe également que les PME envoient majoritairement leur V.I.E dans les pays dits « développés », en Europe ou en Amérique du Nord.

 

Quelle est leur perception du dispositif V.I.E ?

Les perceptions sont plutôt positives. Selon les verbatim que nous avons recueillis, les PME y voient d’abord un moyen pour repérer les talents et les garder. Le dispositif leur permet également d’explorer de nouveaux marchés (avec un impact sur le chiffre d’affaires non-immédiat), d’exploiter des activités à l’international et d’accroître le spectre géographique de leurs activités à l’international. Les quelques points critiques concernent le coût de certains services, le manque d’expérience du jeune et le risque d’échec, ainsi que des problèmes de suivi des jeunes.

 

Vous vous êtes penchée aussi sur les jeunes PME à croissance rapide à l’international. Que nous apprennent-elles ?

Nous avons réalisé un zoom sur 122 jeunes PME à croissance rapide à l’international (ou INV, international new ventures), qui  s’internationalisent dès leur création – ou six ans maximum après leur création. L’objectif était d’évaluer, avec une approche longitudinale, l’effet de l’intensité de l’usage du V.I.E sur le comportement à l’international (CA export, extension géographique, rapport au risque). Les résultats montrent en premier lieu que de manière générale plus l’entreprise prend de V.I.E, plus elle augmente sa présence à l’international (scope). Ensuite, pour les entreprises qui ont une expérience à l’international (plus de trois ans), le fait d’utiliser fortement le dispositif V.I.E augmente le CA à l’export. Il y a donc un impact positif de l’expérience à l’international conjuguée à l’usage du dispositif V.I.E. Le constat est également qu’elles utilisent le V.I.E plus sur des pays dans lesquels elles sont déjà présentes (logique d’exploitation) que pour développer de nouveaux marchés (logique d’exploration). Quant aux entreprises moins expérimentées à l’international (moins de trois ans), elles voient au contraire leur CA export diminuer avec le nombre de V.I.E utilisés. Autrement dit, si les PME utilisent trop de V.I.E, trop tôt, l’effet sur le CA est négatif. 

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