Comment les PME peuvent-elles aligner leur politique d’innovation avec leur internationalisation ?


Comment articuler au mieux l’innovation et le développement à l’international ? Les réponses de Hela Chebbi et Andrew Papadopoulos, professeurs de stratégie et de management international à l’Université du Québec à Montréal, et auteurs d’une étude sur le sujet.

Quel est le contexte de votre recherche ?

Andrew Papadopoulos : Au Canada, 79 % des entreprises de moins de 100 salariés ont fait preuve d’innovation sur la période 2017-2019. Ces PME sont à peine un peu moins innovantes que les grandes entreprises. Pourtant, alors que l’innovation est un moteur pour se propulser à l’international, la nature locale des activités des PME (services de proximité, etc.) peut constituer pour la grande majorité d’entre elles un frein à l’internationalisation.

 

Quels sont, dans ce contexte, les enjeux pour les PME ?

Andrew Papadopoulos : L’enjeu pour les PME est d’innover tout en ayant simultanément l’internationalisation à l’esprit. Quand une PME essaie d’innover, elle devrait, depuis la planche à dessin, appréhender cet axe de croissance qu’est l’international. Notre étude vise à mieux comprendre les déterminants des innovations et leur rôle dans l’engagement des PME sur les marchés étrangers, à identifier les mécanismes nécessaires pour valoriser les innovations à l’international. Il existe, selon nous, des facteurs individuels, processuels et structurels.

 

Quelles sont les PME concernées par cette étude ?

Andrew Papadopoulos : Pour cette recherche, nous avons choisi d’étudier des entreprises manufacturières (plus enclines à exporter que les sociétés de services ou de vente au détail), à la fois innovantes et présentes à l’international. Les entreprises de notre échantillon emploient en moyenne une centaine d’employés. Leurs innovations concernent les produits ou les procédés.

Hela Chebbi : Nous avons par exemple étudié la société APN, une PME qui fabrique des pièces usinées de haute qualité pour l’industrie aéronautique. Créée dans les années 1970 et employant 160 personnes, elle est très connue pour sa capacité d’innovation, ce qui lui a valu d’obtenir plusieurs prix. Elle est aussi très présente à l’international puisqu’elle exporte plus de 80 % de sa production et que 98 % de ses produits se vendent à l’étranger. Elle a même créé une usine en Californie. Cette entreprise, qui a su aligner innovation et internationalisation, vise une position de leader à l’international. « Quand tu es en compétition avec le monde entier, tu dois être le meilleur, tu dois t’améliorer constamment en utilisant les outils disponibles », explique son PDG. Les PME ne disposant pas de ressources illimitées, elles doivent en effet orchestrer au mieux l’allocation des ressources pour optimiser l’innovation et l’internationalisation.

Un autre cas d’entreprise que nous avons étudié est celui de SBB, une PME qui opère dans le secteur de l’aluminium et fabrique notamment des tours d’urgence. Créée dans les années 1970, l’entreprise est devenue un leader mondial dans son domaine, reconnue pour son innovation et son engagement à l’export, décrochant plusieurs prix dans ces domaines. Elle vend ses produits dans 57 pays et s’est diversifiée dans la fabrication de barrières anti-inondation et de vélos en aluminium. Depuis 2004, ses effectifs ont été multipliés par dix, et son chiffre d’affaires par 25, grâce à la dynamique que l’entreprise a réussi à créer entre l’innovation et l’international

 

Que dit la recherche sur ce sujet ?

Andrew Papadopoulos : La recherche envisage les liens entre innovation et internationalisation de plusieurs manières. Une partie des chercheurs pense que c’est l’innovation qui amène à l’international, l’innovation permettant de concevoir des produits intéressants pour les marchés étrangers. C’est dans cette perspective que notre étude se situe. Mais un autre courant de recherche soutient au contraire que c’est l’activité internationale qui force les entreprises à innover pour que leur produit soit adapté aux marchés étrangers. Enfin, certains chercheurs estiment qu’il existe en fait une boucle de rétroaction entre innovation et internationalisation : la PME innove, va à l’international, et l’apprentissage ou l’expérience de l’international l’amène à développer d’autres innovations qui génèrent encore plus d’opportunités sur les marchés extérieurs.

La recherche nous apprend également que la probabilité d’exporter chez les entreprises innovantes est de 15 % supérieure à celles qui ne le sont pas. L’innovation produit augmente de 7 % les chances de s’internationaliser, tandis que l’innovation procédé les accroît de 5,5 %. Et la combinaison des deux types d’innovation entraîne une majoration de 9,5 % les probabilités d’internationalisation.

 

Quels sont les facteurs clés de succès des PME innovantes à l’international ?

Andrew Papadopoulos : Derrière les notions de compétences, de capacités, de ressources, la théorie est bien ancrée dans le concept de « capacités dynamiques », c’est-à-dire de capacités qui peuvent s’adapter pour s’aligner sur l’environnement et les opportunités. Cela suppose trois étapes : détecter – donc identifier et évaluer – les opportunités à l’extérieur de l’entreprise ; mobiliser des ressources pour saisir ces opportunités ; transformer ou dynamiser les capacités de l’entreprise pour s’aligner sur l’environnement. Le problème de ce concept théorique, c’est qu’il reste très large. C’est pourquoi nous essayons d’identifier les « micro-fondations » de ces capacités dynamiques.

La littérature académique nous enseigne qu’il existe trois facteurs importants : l’individu, la structure et les processus. Pour l’individu, on fait référence aux connaissances, aux expériences et à ses comportements au sein de l’organisation. Pour la structure, on peut la situer au niveau de l’équipe, du service, des relations interservices ou de l’organisation tout entière. Quant aux processus ou aux procédés, ils correspondent aux façons de faire à l’intérieur de l’entreprise. La capacité d’innovation repose sur ces trois types de facteurs. Et une fois que l’entreprise est en mesure d’innover, elle va se tourner vers les marchés étrangers, dans une démarche progressive. 

 

Quelle est la méthodologie de votre recherche ?

Hela Chebbi : Il s’agit d’une étude qualitative, menée au cours des deux dernières années, auprès de six PME et de deux experts. Nous avons réalisé une vingtaine d’entretiens au total avec des profils différents : responsable de l’innovation, directeur de l’entreprise, directeur du développement, responsable marketing à l’international, etc. Cela nous a permis d’avoir une idée assez riche et assez claire des différentes pratiques et du fonctionnement de ces PME en matière d’innovation et d’internationalisation. Pour compléter ces entretiens, nous avons aussi consulté des documents et des rapports, issus des entreprises, puis nous avons analysé ces données qualitatives à l’aide d’un logiciel.

Quels sont les principaux résultats de cette étude ?

Hela Chebbi : Le premier résultat est qu’il existe une grande hétérogénéité chez les PME dans leur façon d’aborder l’innovation et l’internationalisation. Celles qui se démarquent sont celles qui ont pensé à l’innovation et à l’international en même temps. Mais de nombreuses PME, par méconnaissance ou manque de ressources, ne procèdent pas ainsi, l’effort d’innovation étant d’abord tourné vers le marché domestique avant d’être redirigé vers l’adaptation de ses produits aux marchés extérieurs lorsque le PME emprunte cette voie. Une telle approche nécessite des ressources supplémentaires et fait courir le risque d’être dépassé entre-temps par un concurrent. 

Notre recherche montre qu’il existe différents facteurs, individuels, structurels et processuels, qui permettent d’aligner innovation et internationalisation.

Parmi les facteurs individuels, il y a d’abord le capital humain. Le niveau de formation des employés est important, mais l’élément clé, c’est l’expérience passée à l’international du dirigeant et des employés, car elle apporte aux PME une véritable ouverture à l’innovation et à l’international. Il y a aussi le capital social, c’est-à-dire le réseau et les relations non seulement du dirigeant mais aussi des employés, qui facilitent l’accès aux informations, les collaborations et les partenariats. Enfin, il y a le capital cognitif, lié à la manière d’interpréter les informations. On note ici l’importance de la prise de risque, de l’autonomie et de la créativité, avec un équilibre entre intuition (pour sentir par exemple que telle innovation est bien adaptée à tel pays) et prise de décision rationnelle. Cet état d’esprit aide l’entreprise à aller chercher des idées, des innovations, à s’ouvrir sur le monde, et à intégrer ces idées pour développer des innovations qui lui permettent d’être plus compétitive sur les marchés mondiaux.

Les facteurs structurels sont également importants. Les PME qui se distinguent sont celles qui ont des structures ouvertes à l’international et qui travaillent en réseau, avec des collaborations et des partenariats, ce qui leur permet d’intégrer des connaissances et des informations venant de l’extérieur. Cette ouverture doit être combinée avec une grande agilité. Il est important d’avoir une structure décentralisée pour favoriser les initiatives des employés, fonctionner par équipes, travailler en mode projet. Cela permet d’être à l’écoute du marché à l’international. Il apparaît également que les PME qui s’en sortent le mieux développent une structure dédiée à la recherche de subventions, consacrent des ressources pour monter des dossiers et aller chercher des aides auprès des structures gouvernementales ou des chambres de commerce – un axe trop souvent négligé par les PME, par ignorance ou manque de temps. Il est également intéressant d’avoir une présence locale et des représentants sur les marchés étrangers, afin d’acquérir de l’expérience et de trouver des idées d’innovation sur d’autres marchés.

Quant aux processus, ils sont plus ou moins formalisés dans les PME (selon leur taille et leurs ressources) mais la culture interne de l’innovation est primordiale. Assortie d’une certaine tolérance à l’échec, la culture s’inscrit surtout dans un processus d’amélioration continue. La PME doit prendre le temps d’assurer avec ses clients un suivi après l’exportation, et grâce à cette proximité, elle sera en mesure d’améliorer le produit. Le processus de R&D doit aussi être ouvert sur l’international. Outre la nécessité de protéger ses inventions, il est essentiel de mettre en place un processus de validation des nouveaux produits et procédés à l’international. Cela permet de tester le produit sur des marchés pilotes. Pour disposer d’informations sur les marchés à l’international, il est capital de mettre en place un processus d’intelligence stratégique, assorti d’une veille technologique et d’une veille concurrentielle. Cette activité de veille doit aussi porter sur les normes et les exigences de conformité des différents pays, afin de concevoir, dès le début, un produit répondant aux spécifications des marchés étrangers cibles. Enfin, et c’est-là un élément clé, l’innovation collaborative internationale mériterait plus attention ; certaines PME ont réussi à co-créer un produit avec un client à l’étranger, puis à déployer cette innovation sur d’autres marchés.

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